Cultures: quand le choc engendre la soif

17.04.2020 - 12:15 | Christian Possa

Dépassée par les événements à son arrivée, elle ne voulait plus rentrer chez elle à la fin du camp. Yllza a participé au camp de vacances organisé au Village d’enfants à l’été 2017 et vécu là-bas deux semaines qui ont bouleversé sa vie. Trois ans plus tard, la jeune fille de 19 ans revient à Trogen pour encadrer un groupe.

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Encore participante en 2017, déjà éducatrice en 2020: Yllza de Macédoine du Nord.

Yllza a grandi à Pershefce. Ce village est situé dans le Nord-Ouest de la Macédoine du Nord, à moins de dix kilomètres à vol d’oiseau du Kosovo. 99 pour cent de la population y est d’origine albanaise. Élevée au sein de cette homogénéité ethnique par des parents très conservateurs, les possibilités d’échange avec les autres nationalités y étaient plutôt rares pour la jeune fille. Lorsqu’Yllza participe au camp de vacances en 2017, elle est d’abord submergée par la diversité au Village d’enfants. «À mon arrivée, j’ai pleuré et voulais rentrer à la maison», se souvient-elle. Son chef actuel, Metin Muaremi, parle carrément d’un choc des cultures. Pourtant, après quelques jours à peine, stimulée par l’échange avec les autres jeunes et la relation de confiance mise en place avec les éducateurs et éducatrices, son attitude change du tout au tout. Elle s’ouvre, ose communiquer davantage, apprend à gérer les conflits et à trouver des solutions. Elle a complètement changé, aussi dans sa manière de penser, estime Metin Muaremi. «Avant, c’était quelqu’un qui ne se préoccupait de rien et qui voulait juste profiter. Maintenant, elle a bien plus conscience de ses responsabilités. » La jeune fille de 19 ans partage cet avis et ajoute: «J’ai beaucoup plus d’énergie positive et j’ai beaucoup moins de préjugés envers les personnes que je ne connais pas.»

Adieu et nouveau départ
Plus la fin du camp de vacances approchait, plus Yllza envisageait son retour à la maison à contrecoeur. Cette année-là, Metin Muaremi, le directeur de l’organisation partenaire Center for Education and Developpment (CED), ne séjournait pas à Trogen en tant qu’éducateur, mais il a compris qu’Yllza était réticente à l’idée de rentrer chez elle. Lorsque la jeune fille s’est adressée à cette organisation macédonienne, il l’a invitée à participer en tant que volontaire. «Le camp de vacances touche à sa fin, mais tu peux trouver une autre façon de continuer, ici, en Macédoine du Nord.»

«Je veux conserver cet esprit ‹Pestalozzi› dans mon coeur.»

Yllza s’est pleinement investie auprès de la CED et a été promue coordinatrice des jeunes, devenant ainsi la personne de contact pour tous les jeunes bénévoles. Puisque la CED organise elle aussi des camps pour les enfants et adolescents, Yllza peut profiter de sa propre expérience au Village d’enfants pour travailler. «Mon séjour ici m’a aidée à découvrir par moi-même la manière d’interagir avec des enfants. » Lorsque la jeune adulte se remémore son passage à Trogen, elle ne manque jamais de mentionner les personnes qui, à sa grande surprise, l’ont accueillie aussi ouvertement. Elle est bourrée de la même énergie positive que celle qui l’avait tant stimulée à l’époque, lorsqu’elle était encore une enfant naïve. «Je veux garder cet esprit ‹Pestalozzi› dans mon coeur.»

Épreuve réussie
En tant que directeur de la CED, Metin Muaremi peut observer d’on ne peut plus près la façon dont Yllza se développe d’un point de vue personnel, sa manière de gérer un camp de vacances entier avec deux autres volontaires et de se comporter avec les gens. Elle voit le monde différemment, estime-t-il. «Par son travail dans l’organisation, sa nouvelle manière de penser et de voir les choses, elle a aussi influencé l’organisation. » L’adolescente craintive est devenue une jeune adulte sûre d’elle qui se rapproche grandement de son objectif: retourner au Village d’enfants. «Lorsque je suis rentrée à la maison en 2017, j’ai dit: je veux revenir à Trogen, encore et encore.» C’est maintenant le cas, se réjouit-elle énormément. Elle est débordante d’excitation à l’idée de revoir Daniel et Pascal, les deux éducateurs qui ont veillé à l’époque à ce qu’elle se sente si bienvenue.

Du haut de ses 19 ans, Yllza est à peine plus âgée que les jeunes participants aux projets d’échange organisés au Village d’enfants. Évidemment, elle l’a déjà expérimenté auparavant, toutefois elle est bien acceptée par le groupe. Metin Muaremi explique qu’ils ont choisi consciemment de montrer aux participants plusieurs aspects de l’apprentissage, plusieurs manières de régler les choses. «Je suis peutêtre plus autoritaire, mais elle est plus amicale, c’est pourquoi les enfants se confieront plus à elle qu’à moi.

«60 à 70 pour cent des jeunes sont des citoyens et citoyennes actives à la maison et dirigent des organisations.»

Metin Muaremi – directeur de la CED

Tous deux s’entendent sur le fait que les projets d’échange au Village d’enfants produisent un effet durable dans leur pays d’origine. Les projets changent la manière de penser, explique Yllza. «Lorsque je suis rentrée, j’avais plein d’idées concernant ce que je voulais faire, comment je voulais travailler.» Tous les ans depuis dix ans, la CED permet à 40 jeunes de participer à un échange à Trogen. «L’expérience montre que 60 à 70 pour cent des jeunes deviennent des citoyens et citoyennes actives à la maison et dirigent des organisations», déclare Metin Muaremi. En guise d’exemples, il nomme des organisations, des radios sur Internet ou des clubs de lecture nationaux composés d’étudiants de diverses origines ethniques. «Cela me motive énormément de voir qu’un ancien ou une ancienne de chez nous continue à agir et poursuit le travail d’une autre manière.»

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